1963-2018 - 55 years of Research for Social Change

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E.T.A. et la violence politique au Pays Basque espagnol



Le présent rapport considère d’une manière révélatrice la violence politique au Pays Basque espagnol qui, selon l’auteur, défie les idées reçues ou les stéréotypes. L’auteur nous guide à travers l’évolution de l’E.T.A. qui, surgissant face à une dictature alors toute puissante, s’est développé au moment de son déclin, et a progressé dans la phase de transition de la société espagnole vers la démocratie. La violence, alors indissociable du mouvement E.T.A., s’est emballée de façon paradoxale, en apparence, jusqu’à devenir terroriste dans la période où la démocratie est une donnée incontestable en Espagne. La violence politique de l’E.T.A. est à jamais associée à un effort qui cherche à promouvoir simultanément une signification tridimensionnelle de l’action, et qui fait d’elle l’expression, tout à la fois, d’une nation, de mouvements proprement sociaux et d’un projet révolutionnaire.

L’auteur nous propose l’examen de ces trois dimensions. Cet examen porte également de façon diachronique sur leurs transformations dans le temps. Une nation opprimée, interdite d’expression, comme ce fut le cas sous la dictature franquiste, se transforme lorsqu’elle obtient d’importants degrés de liberté, même si une autonomie comme celle dont disposent aujourd’hui les provinces basques n’est pas réductible à l’indépendance d’un Etat. Un mouvement ouvrier fort et décidé, pouvant organiser des luttes puissantes comme celles du milieu des années soixante-dix au Pays Basque espagnol, ne constitue pas la même référence qu’un mouvement ouvrier décomposé par la crise économique et perdant toute centralité au cours de cette nouvelle étape qu’est la post-industrialisation de la société en Espagne. Un projet révolutionnaire n’a pas le même sens, ni la même portée, dans un monde dominé par la guerre froide, où les idéologies communistes et marxistesleninistes pèsent partout d’un poids considérable, que dans le monde qui est le nôtre aujourd’hui, où les régimes d’inspiration communiste s’effondrent ou se rétractent et où les idéologies marxistes-léninistes ont perdu leur aura.

Ce rapport riche en détails suit pas à pas ces changements afin de saisir la trajectoire de l’E.T.A. Mais cela ne suffit pas, car cette organisation n’est pas tant la somme des trois éléments mentionnés antérieurement que leur fusion en une totalité qui prend la forme d’un discours, mais aussi d’une pratique de la violence. L’auteur avance que la violence est fonction non seulement de ce qui se joue sur chacun de ces trois éléments, que ce soit du côté de la nation, des mouvements sociaux et du projet révolutionnaire, mais également de la plus ou moins grande facilité qu’il y a à intégrer ces dimensions. Plus cet effort est facile à opérer, plus l’acteur peut se contenter d’une violence limitée, voir symbolique. Moins il est aisé, plus il devient artificiel, et plus la violence est la contrepartie nécessaire, de plus en plus exacerbée, de la dissociation, dans la réalité sociale, des éléments qu’il entend synthétiser. Il est amené à poser la question du passage au terrorisme proprement dit et plus précisément à un terrorisme qui devient aveugle, semble confondre les fins et les moyens et qui se dissocie des attentes et de l’expérience vécue par le peuple au nom duquel les armes sont brandies. Son hypothèse est qu’un tel passage s’inscrit dans la poursuite de l’escalade d’une violence, qui parvient de moins en moins à incarner par ses actes la tridimensionnalité de l’action basque et qu’il témoigne d’un processus de perte de sens.

L’histoire de l’E.T.A. est vieille maintenant de plus d’une trentaine d’années, et nous verrons, en fin de parcours, qu’il n’est pas déraisonnable de formuler l’hypothèse de son épuisement historique. Nous disposons donc, avec elle, d’une trajectoire peut-être complète, dont l’auteur reconstitue dans ce rapport les moments décisifs et les inflexions. L’étude présentée ici s’appuie en effet sur un travail sur le terrain qui a duré plusieurs années, à partir de 1983, et dont les phases centrales ont consisté à mener une série de trois interventions sociologiques. La première a été conduite avec un groupe d’une dizaine d’anciens militants de l’E.T.A., la deuxième avec une dizaine de militants appartenant à sa nébuleuse politique, et souvent actifs dans la clandestinité et la troisième avec des membres du Parti nationaliste basque, formation fonctionnant sur un mode institutionnel et dans le cadre de la démocratie, et d’où sont sortis, à la fin des années cinquante, les fondateurs de l’E.T.A.

Le programme de l’UNRISD sur la violence politique et les mouvements sociaux a pour objectif principal de comprendre le problème de la violence politique en fonction d’un nouveau cadre d’analyse, qui traite la violence comme un type de discours du pouvoir possédant sa propre dynamique. L’étude qui est présentée ici fera partie, ultérieurement, d’un volume regroupant huit cas de mouvements sociaux enclins à la violence dans les pays suivants: Afrique du Sud, Colombie, Irlande du Nord, Italie, Liban, Pérou et Sri Lanka; de même qu’un article théorique préparé par le coordonnateur de projet, David E. Apter. Ce cadre théorique forme un complément important aux propos du présent rapport et le lecteur est invité à consulter les articles de l’auteur cités dans le texte.
  • Publication and ordering details
  • Pub. Date: 1 Jan 1993
    Pub. Place: Geneva
    ISSN: 1012-6511
    From: UNRISD/UN Publications